En France, l’investissement immobilier devrait signer une année record, porté par les investisseurs étrangers. Sur le seul commerce, les transactions pourraient dépasser €5Mds, portées par les flagships de luxe des grandes artères. Le locatif de bureau en Ile-de-France, s’il se tasse un peu, demeure très dynamique en première couronne.
L’immobilier résidentiel poursuit par ailleurs sa hausse en volume et en prix, particulièrement dans les zones dites « tendues ». Enfin, on constate une hausse des valeurs locatives à Paris, contre une situation plus hétérogène ailleurs.
Ces évolutions illustrent un marché en tension (taux bas, Brexit, attractivité retrouvée soutiennent la conjoncture), sélectif (insuffisamment ?), baigné par les incertitudes mondiales.
A l’étranger, Londres et Hong Kong, pénalisées par leurs situations spécifiques, résistent bien. La capitale anglaise semble même redevenir attrayante (baisse des prix et de la devise) pour de nombreux investisseurs internationaux. A Hong Kong, le marché, dominé par des acheteurs locaux, est, pour l’instant, moins impacté par les événements que ce qui pourrait être attendu.
A New York, la dynamique demeure solide alors que la Floride semble montrer des signes de faiblesse (passagère ?), après un fort engouement depuis 2008.
Un constat s’impose donc : l’immobilier, dans les localisations phares de la planète, apparait comme une valeur refuge en ces périodes de taux bas. La quête désespérée de rendement porte les actifs à des niveaux historiques. Et l’on constate un mouvement de « flight to quality » en réponse aux incertitudes mondiales.
Cet eldorado partage le haut de l’affiche avec le private equity. L’argent demeure abondant, les investissements traditionnels ne peuvent plus répondre aux attentes des investisseurs. On arbitre la liquidité contre le rendement… et un risque, peut être mal identifié.
Car les politiques accommodantes des Banques Centrales, depuis 2008, ont d’abord eu pour conséquence une explosion de la demande obligataire. Conjuguée à une inflation historiquement et constamment basse, l’environnement obligataire offre aujourd’hui des rendements extrêmement faibles, même pour des émetteurs risqués. Quant aux émetteurs les plus sûrs, la situation est sans précédent (et pourrait durer) : à titre d’exemple, la Suisse a vu l’ensemble de sa courbe des rendements passer en territoire négatif jusqu’à l’échéance de 50 ans !
C’est donc pour pallier ce déficit de rendement que le volume des placements immobiliers a considérablement augmenté. Pour reprendre l’exemple de la Suisse, les caisses de pension helvétiques ont augmenté leur allocation globale immobilière de 34% au cours des 10 dernières années (près de 25% de l’allocation totale -immobilier direct et indirect – à fin 2018).
Ces inflexions stratégiques sont justifiées par un besoin de cash flows et un couple rendement/risque nettement plus favorable que l’obligataire.
L’autre raison qui soutient ce mouvement est la décorrélation entre immobilier et obligataire (n’oublions pas qu’une hausse de 1% du taux à 10 ans provoque une baisse de 7% de la valeur de l’obligation correspondante).
Les rendements immobiliers dépendent de nombreux facteurs économiques, distincts de ceux impactant l’obligataire. En outre, cette classe d’actifs offre un potentiel de diversification sectorielle, selon les typologies d’actifs (bureaux, commerces, logistique, etc) et géographique. Enfin, l’immobilier procure une couverture contre l’inflation, car les baux sont généralement indexés sur l’évolution des prix.
A mi-chemin entre actions et obligations en termes de profil risque/rendement, l’immobilier apporte des rendements stables et élevés (en termes relatifs), même s’ils sont sujets au risque de gains et pertes en capital. Il existe d’ailleurs une perception erronée, selon laquelle la volatilité de cet actif est faible.
Or MSCI constate que les évaluateurs ajustent ou mettent à jour leurs évaluations antérieures, créant une série de rendements qui correspond finalement à une moyenne mobile, sous-estimant ainsi les mouvements de marché. Par ailleurs, la prévalence de l’actualisation des flux de trésorerie (DCF – discounted cash flows) accentue encore ce lissage.
En fait, la composante en capital de l’immobilier est de nature cyclique, parce qu’elle est exposée à des risques macro-économiques et de marché. Les analyses à long terme montrent que les chocs sur les marchés actions se transmettent immédiatement aux fonds de placement immobiliers côtés, mais aussi, de manière décalée, aux rendements de l’immobilier direct. Par conséquent, à long terme, les rendements immobiliers peuvent finalement évoluer de façon beaucoup plus corrélée avec ceux des actions que ce que pensent les investisseurs.
Aujourd’hui, l’appétit pour le risque immobilier augmente car les rendements des actifs « prime » se situent à des niveaux historiquement bas (sous la barre des 3 %, y compris dans certaines villes allemandes). Les prix ont dépassé les niveaux d’avant crise sur de nombreux marchés, pour le commerce comme pour le résidentiel. Et la croissance des prix a été stimulée par les faibles niveaux de construction et de taux (ce dernier facteur ayant réduit les coûts d’emprunt et les taux d’actualisation).
L’intérêt accru des investisseurs institutionnels a profité aux investissements à valeur ajoutée et opportunistes. Dans un rapport récent, Cushman et Wakefield a constaté que l’allocation aux solutions « alternatives » (hôtels, logements étudiants, résidences destinées aux soins de santé, centres de données, entrepôts libre-service et parkings) est passée de 5 % de l’investissement total au Royaume-Uni en 2009 à 40 % au premier trimestre 2019 !
De même, l’écart de rendement de près de 3% entre le Bund et le rendement moyen des bureaux allemands « prime » continuera de rendre l’immobilier attractif à court terme, surtout s’il s’accompagne d’une croissance des loyers (néanmoins plafonnée par les pouvoirs publics). Les rendements monétaires, négatifs dans certains pays, poussent également les investisseurs institutionnels à accepter un rendement dégradé pour leurs placements immobiliers.
On le voit, la course au rendement et le besoin de cash-flows suscitent un engouement probablement exagéré vers l’immobilier, qui se voit dévolu le rôle historique du marché obligataire.
Mais ces deux classes d’actifs ne sont pas interchangeables – quelle que soit la professionnalisation (et la fluidification / titrisation / financiarisation) de l’immobilier : il requiert un ensemble de compétences totalement différentes, et comporte des caractéristiques intrinsèques, qui ne peuvent lui permettre d’assumer un tel rôle sur le long terme. D’autant, que, contrairement à la perception erronée des investisseurs, il demeure un actif à risque !
L’immobilier, s’il monte en puissance dans l’allocation globale, ne pourra jamais parfaitement remplacer les obligations dans un portefeuille d’actifs mixtes.
L’analyse de risque devra réviser ses codes au cours des prochaines années, tant cette situation, qui impactera autant l’immobilier que l’obligataire, risque de perdurer.