Les Legaltechs viennent-elles de remporter l’ultime bataille qui leur permettrait de réaliser l’un des plus grands fantasmes du juriste contemporain : la justice prédictive ? C’est, en tout cas, ce que pourraient laisser penser deux arrêts récents rendus par les cours d’appel de Douai et de Paris.
Le terme « Legaltech », utilisé depuis le début des années 2000, désigne une entreprise qui utilise la technologie pour repenser les services juridiques, en permettant notamment leur automatisation. L’un des objectifs ultimes de ces entreprises est la création d’un marché du droit reposant sur une justice de nature prédictive.
D’après la formule d’un grand professeur de droit, il s’agit de « tenter de prédire avec le moins d’incertitude possible ce que sera la réponse de la juridiction X quand elle est confrontée au cas Y » grâce au Big Data, c’est-à-dire l’utilisation et le croisement des données fournies par l’ensemble des décisions de justice.
Ces nouveaux outils permettent notamment d’établir des statistiques sur les chances de succès d’une procédure judiciaire, de faire une prévision sur le montant des indemnités qu’il est possible de recevoir, et les éléments, de fait ou de droit, qui ont le plus de chance de convaincre les juges de telle ou telle juridiction. Inversement, il est possible de calculer le risque de se faire condamner ainsi que le montant des indemnités qu’il conviendra de verser.
La matière première de ces entreprises est ainsi constituée par les décisions de justice, que les Legaltechs doivent compiler dans d’énormes banques de données. Toutefois jusqu’à présent, lesdites décisions de justice ne leur étaient pas librement accessibles. En cause, l’insurrection des greffes des tribunaux qui ont argué du fait qu’ils « n’ont pas vocation à se substituer aux éditeurs juridiques, sauf à nuire à la continuité du service public de la Justice ». La loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 autorise un accès libre et gratuit à l’ensemble des décisions rendues par les juridictions françaises.
Les juges ont ainsi donné raison aux Legaltechs et enjoignent les greffes à fournir les décisions qui leur sont demandées, sous réserve de les anonymiser.
A noter que le projet de loi de programmation 2018-2022 de la réforme pour la justice, actuellement en discussion au Parlement, réaffirme le principe de l’open data tout en ajoutant une limite en ce que les tiers pourront toujours demander copie des décisions de justice « sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique ».
L’avenir de la justice prédictive n’est ainsi pas encore assuré en France, qui est en retard sur ce sujet. Aux États-Unis par exemple, certains juges vont même jusqu’à recourir à des algorithmes qui leur suggèrent la sanction à appliquer !