Le formidable élan de générosité à l’occasion de l’incendie de Notre-Dame a révélé toute l’ambiguïté française vis-à-vis du don et du mécénat. Nos concitoyens ont, dans le même temps, salué la réactivité et l’ampleur des engagements financiers, dénoncé les avantages fiscaux qui en découlent, accablé l’État défaillant de s’en remettre au privé et reproché que des causes sociales ou écologiques ne suscitent pas pareille mobilisation. Part importante de la philanthropie, le mécénat d‘entreprise n’a pas été épargné.
Pareille cacophonie n’est pas le fruit du hasard : alors même que la France, avec la loi Aillagon, s’est dotée en 2003 d’un des régimes fiscaux les plus favorables au monde, elle n’a, depuis, jamais expliqué clairement ce qu’est le mécénat d’entreprise : une politique au service de l’intérêt général qui vise à mobiliser la puissance économique des entreprises au bénéfice de grands enjeux de société. Elle ne l’a pas accompagné d’une pédagogie, indispensable pourtant, sur l’utilité du mécénat d’entreprise dans un pays où l’État se veut Providence, et sur le rôle de l’entreprise, qui ne se résume pas à la seule réalisation de profits!
Cette forme d’engagement des entreprises a pourtant connu un développement exponentiel avec 80 000 entreprises aujourd’hui mécènes (x 2,5 en 6 ans) pour un montant de €2Mrd répartis à parts quasi égales entre le social, la culture et l’éducation. Il est aussi une composante accélératrice de l’engagement des entreprises : si 11% des entreprises françaises ont une politique RSE, elles sont 22% chez les entreprises mécènes.
Enfin, si 96% des mécènes sont des TPE et PME, et 0,3% des grandes entreprises, ces dernières concentrent à elles seules 57% des dons (€960M en 2017). Ce chiffre peut interpeller mais n’oublions pas qu’il intègre les centaines de millions d’euros du don en nature (denrées par ex.), sur lesquels reposent notamment un tiers de l’aide alimentaire au plus démunis et une partie des entreprises sociales de l’économie circulaire.
Pourtant, malgré cette croissance forte du mécénat en nombre comme en volume, un énorme potentiel de développement nécessaire au pays reste à mobiliser, puisque moins d’une entreprise sur dix en France est mécène. Aussi, à l’heure où la loi Pacte propose aux entreprises de se doter d’une raison d’être au service de l’intérêt collectif, le moment semble propice à construire une politique ambitieuse, qui aborde le mécénat comme un investissement public-privé au service de l’intérêt général.
La relation créée par le mécénat entre entreprise et intérêt général constitue l’un des leviers d’une vision nouvelle du capitalisme, qui changerait son rapport à la performance, en y intégrant l’impact social et environnemental, son rapport au temps, en s’éloignant du court-termisme. Mais il faudra sans doute encore beaucoup de volonté, d’énergie et de… temps, pour constater l’impact de ce qui paraît une inflexion majeure.