Les résultats des ventes d’art moderne et contemporain à New York restent satisfaisants dans un contexte d’incertitudes économiques mondiales… mais la saison n’a vu aucun coup d’éclat, si ce n’est une toile du Pop Californien Ed Ruscha, adjugée $52M. En cette fin d’année, les observateurs se demandent quel sort sera réservé au marché de l’art moderne et contemporain, dans un contexte secoué par de nombreux enjeux (géo)politiques et économiques.
Depuis quelques années les maisons de ventes se nourrissent médiatiquement chaque saison de records extraordinaires qui dépassent les $50M adjugés pour une seule œuvre. Il faut dire que ces prix stratosphériques ont un effet en cascade sur le moral du marché et donc sur les niveaux de transactions. On peut par exemple citer les $111M enregistrés en mai 2019 pour les Meules de Claude Monet ou les $90M pour une peinture de David Hockney en novembre 2018. Entre le 11 et le 15 novembre 2019, Sotheby’s, Christie’s et Phillips dispersaient à New York leurs plus beaux lots d’art impressionniste, moderne et contemporain.
Mais cette fois, à une exception près, aucune œuvre « trophée » n’a été mise sur le marché.
Il y a plusieurs raisons à cela. La première tient à un fait conjoncturel : pas de décès ou de divorce de grands collectionneurs. Cependant, on attend une décision de justice qui engendrera certainement, en 2020, la dispersion de l’immense collection de l’entrepreneur immobilier new-yorkais Harry Maclowe et de son ex-épouse, à la suite de leur divorce. Avec des œuvres de Jeff Koons, Cy Twombly ou Giacometti, elle pourrait frôler $1Mrd.
Plus généralement, la baisse de l’offre de pièces de qualité exceptionnelle est justifiée par le fait que la patrie des grands collectionneurs dans le monde, les USA, est moins motivée pour vendre, car l’administration Trump a mis fin en 2018 à une mesure fiscale très favorable au marché de l’art, le « like-kind exchange », qui permettait de repousser la taxe sur la plus-value en cas d’achat dans les six mois, d’un bien similaire. Cette nouvelle réglementation fiscale associée à une situation internationale incertaine n’incite probablement pas à la prise de risque.
Le temps d’une saison, il y a donc moins d’excitation, même si le secteur continue à susciter un intérêt certain. Néanmoins, l’absence de collections réputées et de lots stars s’est fait sentir. Alors qu’en novembre 2018, Christie’s et Sotheby’s avaient enregistré un total de près de $2Mrd, cette année, elles accusent une baisse de 35% des volumes vendus, avec un résultat cumulé d’$1,3Mrd.
Pour les ventes du soir d’art impressionniste et moderne, les résultats cumulés de Sotheby’s et Christie’s ($400M) sont également en baisse de 30%. Christie’s a engrangé $192M (contre $279M l’année dernière). Ce résultat, compris dans la fourchette d’estimation ($138M à $203M), accuse une baisse de 31% (hors collection Ebsworth), alors même que le taux de vente est supérieur à la moyenne, puisque 90% des lots ont trouvé preneur. Cette dichotomie s’explique par l’absence de lots estimés à $50M comme l’an passé et le retrait de trois œuvres avant la vente. La plus haute enchère de la soirée est allée à une toile de René Magritte, Le Seize septembre (1957), adjugée $19,5M, bien au-delà de son estimation haute ($10M), tandis qu’une sculpture d’Umberto Boccioni, Formes uniques de continuité dans l’espace, conçue en 1913 et fondue en 1972, a atteint $16M, soit trois fois son estimation haute, devenant ainsi un record mondial pour l’artiste italien.
Chez Sotheby’s, ce sont quelques $209M qui ont été récoltés, dans la fourchette de son estimation et en baisse de près de 34% par rapport à novembre 2018.
Des noms moins attendus parmi les stars des ventes modernes ont engendré de gros prix : $20M pour Gustave Caillebotte, $16M pour un paysage d’Istanbul de Paul Signac. Il avait été adjugé €8M d’euros en 2012.
Cette saison permet aussi de voir émerger des artistes ordinairement occultés par les gros prix. C’est le cas de Charles White (1918-1979) qui était très peu connu jusqu’en octobre 2018 lorsque le Moma de New York lui a consacré une rétrospective, qui a aussi voyagé à Chicago et Los Angeles. Ses quarante ans de carrière ont été principalement consacrés à la question afro-américaine, en peinture et par le dessin. Faisant ainsi écho au Wealth Report d’UBS/Campden, le monde de l’art semble afficher davantage de retenue (malgré certaines excentricités, comme « la banane de Maurizio Cattelan » présentée par Perrotin à Art Basel Miami), après une période « d’exubérance irrationnelle » que rien ne paraissait arrêter. Plus que jamais, le marché semble mature, (ultra) sélectif et… sur ses gardes. Comme partout, l’heure est à la qualité, qui sera le meilleur gage de résilience en cas de conjoncture plus sombre !