Nous terminions notre billet du premier trimestre sur le constat de maturité du marché de l’art, avec néanmoins un sentiment de prudence pour 2019, compte tenu des premières grandes ventes.
Finalement, le semestre écoulé se révèle particulièrement faste ! Artprice le résume ainsi : « en investissant au 1er janvier dans les cent artistes les plus performants des cinq dernières années (2014-2018), un collectionneur a pu prétendre à une augmentation de près d’un sixième de la valeur de son portefeuille ».
L’indice Artprice100© gagne en effet 16% sur la période, pendant que le S&P500 a lui progressé de 18%. Cette correspondance entre les performances des marchés financiers américains et un portefeuille d’œuvres d’artistes majeurs, défini de façon objective, semble renforcer l’attrait du marché de l’art comme potentiel placement alternatif. Et interpelle forcément sur la nature de ce marché dont les sous-jacents demeurent exceptionnels mais dont les indices, créés récemment, permettent dorénavant une comparaison avec les marchés financiers….
La performance de l’indice sur les six premiers mois de l’année repose sur une demande extrêmement forte, que l’offre peine à contenter. Il résulte de cette asymétrie une hausse rapide, à commencer par les œuvres des cent plus grandes signatures.
Néanmoins, le S1 2019 a révélé un ralentissement dans les grandes maisons de ventes (-9% de chiffre d’affaires chez Sotheby’s, -28% chez Christie’s). Ceci reflète un marché haut de gamme moins dynamique que lors des exercices précédents. Alors que les prix ne montrent aucun signe de fatigue, c’est la contraction du volume de ventes qui rappelle que ce marché dépend directement des œuvres en circulation.
En effet, face à une situation financière complexe, marquée par des taux d’intérêt négatifs ou nuls et beaucoup d’incertitudes macro-économiques, financières et géopolitiques, certains collectionneurs préfèrent sans doute ne pas se défaire tout de suite de leurs œuvres et ne pas clôturer trop rapidement des investissements somme toute très rentables. D’autant que les frais de transaction, qui restent extrêmement élevés, en galeries comme en salles de ventes, découragent les détentions courtes (inférieures à cinq ans). Ceci peut également inciter les collectionneurs à conclure des transactions de gré à gré (plus difficiles à suivre).
En position dominante dans la composition de l’Artprice100© avec 9,1% du portefeuille, Picasso ne participe plus depuis plusieurs années à l’essor de cet indice. Comme au cours des quatre derniers exercices, le prix de ses œuvres diminue légèrement de -2 % sur le S1 2019, confirmant la stagnation de l’art moderne.
A l’inverse, les œuvres d’Andy Warhol, Fu Baoshi, Zao Wou-Ki et plus nettement encore pour celles de Wu Guanzhong, connaissent une hausse significative sans toutefois enregistrer de nouveaux records. Ce sont donc les signatures d’art contemporain qui portent la croissance de l’indice. La mise en vente d’œuvres majeures permettra de confirmer la tendance.
En 2019, dans les entrées/sorties de cet indice (normalement assez stable), la moitié des sortants sont des artistes chinois. Doit-on y voir un signe ? Selon le rapport réalisé par Arts Economics pour Art Basel, la Chine qui avait conquis en 2011, pour une année seulement, le titre de premier marché de l’art, avec 30% du gâteau, devant les États-Unis à 29% et le Royaume-Uni à 22%, a perdu de sa superbe. En 2018, l’empire du Milieu n’est plus l’eldorado attendu, avec seulement 19% de part de marché, devancé par le Royaume-Uni qui s’est maintenu à 22%, et surtout largement distancé par les États-Unis à 44% !
Néanmoins le pays reste prometteur. Un autre rapport, publié par la Tefaf, rappelle que, dans l’art également, le marché chinois a connu une incroyable croissance en quatre décennies : les galeries ont commencé à émerger dans les années 1980, les maisons de vente dans les années 1990, le premier musée privé a été créé en 1991 et la première foire d’art en 1993. Aujourd’hui, on compte plus de 20 foires d’art en Chine, 1 500 musées privés et 4 300 galeries ! China Guardian, lancée en 1993, et Poly Auctions, née en 2005, sont respectivement 4ème et 3ème maisons de vente aux enchères au monde, derrière Christie’s et Sotheby’s dont le premier actionnaire était d’ailleurs… chinois, jusqu’à la récente prise de contrôle par P. Drahi.
La Chine n’est pas pour autant devenue un modèle culturel pour ses voisins qui, à l’inverse, cherchent à s’en émanciper, tout comme une partie de l’élite chinoise « occidentalisée ». Ses nouveaux musées n’obéissent pas aux mêmes critères scientifiques que les musées occidentaux et la censure se resserre. Enfin, ni Pékin ni Shanghai ne sont des lieux de création attractifs pour des artistes étrangers.
A l’inverse, pourquoi les États-Unis semblent-ils indétrônables, alors que l’Europe a longtemps dominé ce marché ? Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains, dans une logique complémentaire à celle du plan Marshall, ont compris l’intérêt d’exporter leur culture et le rôle stratégique de l’art contemporain pour propager un esprit de renouveau. Les critiques d’art, les collectionneurs, les musées ont accompagné leurs artistes, considérés comme des ambassadeurs. Les collectionneurs ont montré leur confiance en achetant dans des ventes aux enchères fortement médiatisées, entraînant un phénomène de mimétisme pour posséder les œuvres d’artistes de la scène contemporaine.
Pendant ce temps, en France, premier marché mondial jusque dans les années 1960, beaucoup d’intellectuels se méfiaient plus des États-Unis que de l’URSS. Il fallait donc se démarquer du pop art. La tendance a été de valoriser un art conceptuel institutionnel, difficilement assimilable par le marché. En outre, la France avait peu de collectionneurs influents. Le phénomène accélérateur a été la marchandisation, emmenée par les anglo-saxons, d’un secteur devenu une véritable alternative aux marchés d’investissements traditionnels. Le tout dans une époque de création de richesse inégalée.
Mais qui dit marché dit cycles. Qui dit cycles dit crises. Il faudra donc savoir y faire face lorsqu’elles surviendront. Comme pour les autres marchés, la qualité sera primordiale, alors que le risque « d’effet de mode » est probablement plus élevé que dans d’autres classes d’actifs.
Pour l’instant, l’inflation des actifs alimente la dynamique, du marché et des acteurs. Dans ce contexte, la France retrouve quelques atouts, par son maillage exceptionnel de galeries, de nouveaux collectionneurs d’envergure mondiale et un savoir-faire des musées très reconnu, comme en témoignent l’antenne Pompidou à Shanghai et le Louvre Abu Dhabi. Mais la concurrence est rude, car, dans l’émirat, c’est bientôt le Guggenheim, américain, qui montrera l’art contemporain dans le Golfe !
Le marché est mondial. La compétition également. Les enjeux sont au-delà du seul business, c’est la lutte d’influence au travers des courants artistiques. Les acteurs sont identifiés : maisons de vente, galeries, musées. Les outils ont été mis en place : indices, places de marchés, etc.
Nous sommes définitivement entrés dans une nouvelle ère de l’art.