Marchés financiers : USA over all!

mars 2019 | PERSPECTIVES

Un 1er trimestre euphorique sur les marchés, en hausse de 15% !

Suivant un dernier trimestre 2018 cataclysmique, le fort rebond de cette année a presque effacé toutes les pertes de 2018. Comment expliquer ce retournement soudain ? Est-ce un rebond de la croissance mondiale ? Un optimisme retrouvé des entreprises face à un carnet de commandes prometteur ? Une baisse des tensions géopolitiques ?

Hélas non. Comme souvent ces dernières années, c’est la banque centrale américaine qui a mis fin au krach (aussi peu rationnel que le rebond de ce début d’année d’ailleurs !), en changeant totalement de discours ; après 3 hausses de taux en 2018, pour accompagner la bonne santé de l’économie américaine, et alors qu’en décembre elle prévoyait encore 2 hausses en 2019, la FED a « rassuré »les marchés en annonçant le retour à une politique monétaire laxiste et promettant qu’elle ne monterait pas ses taux avant 2020 (le marché anticipant même une baisse en fin d’année).

Comment interpréter ce revirement significatif ?

Les récents chiffres macroéconomiques sont effectivement décevants, on constate un ralentissement généralisé de la croissance mondiale. La courbe des taux américains est aujourd’hui inversée : le 3 mois est supérieur au 10 ans. Ce qui est normalement un signal de récession prochaine, le marché anticipant une baisse des taux dans quelques années.

Pour autant, si les États-Unis ont ralenti, la croissance arrivait d’un niveau intenable de 4%, alimentée par la réforme fiscale de l’administration Trump. Il est donc normal de revenir à un rythme plus raisonnable. Sur le front de l’emploi, les chiffres du 1er trimestre sont toujours excellents, malgré la longue fermeture de l’administration fédérale en janvier, et les salaires toujours en hausse. Alors ralentissement certes, mais la récession semble encore loin…

La raison du rebond des marchés ne semble donc pas d’ordre économique, car quelle que soit l’analyse de la situation (croissance ralentie ou non), il y a contradiction entre des marchés actions en hausse de 15% (voire même 20% pour des valeurs de croissance, comme Michelin ou Kering), qui traduisent une anticipation haussière des bénéfices futurs et un marché obligataire qui anticipe une récession !

Alors comment interpréter ce changement de discours de la banque centrale américaine ?

Le marché y a vu la validation d’une idée en vogue dans les salles de marché depuis 2008 : la FED agirait comme le protecteur ultime du marché face au risque de forte volatilité sur les actions. En cas de baisses conséquentes, elle serait toujours là pour amortir le choc, faire redémarrer la machine et au final sauver les investisseurs.

Le rôle des banques centrales s’est totalement transformé au cours des 10 dernières années, post faillite de Lehman Brothers. L’impact des marchés boursiers sur l’économie réelle, particulièrement aux États-Unis où les ménages sont fortement investis via leur épargne retraite, obligerait les banquiers centraux à suivre de près les cours de bourse. Le président Trump l’a bien compris, et réclame depuis des mois que la FED stoppe ses hausses de taux : le niveau du S&P500 devient un enjeu politique !

A court terme, tout le monde applaudit. Mais est-ce le rôle d’une banque centrale ? Est-elle là pour cajoler et rassurer les investisseurs dont le métier est de prendre des risques? Si, en tant que sauveur ultime, elle annule le risque, comment donner un vrai prix aux actifs ? Quelle est l’efficience réelle du marché ? Comment discriminer les bonnes entreprises des mauvaises ? Ce débat a déjà eu lieu après 2008, avec le principe du too big to fail : si les états doivent sauver les banques ou les gros employeurs, comme les constructeurs automobiles, de leurs propres erreurs, où est l’efficience économique ?

Et quid de l’indépendance de la banque centrale face au pouvoir politique ? Faut-il s’attendre à des politiques monétaires laxistes les années électorales pour contenter le pouvoir en place au détriment des fondamentaux économiques ? Les banques centrales sont sorties renforcées des années post Lehman Brothers et ont gagné une grande crédibilité. En revenant sur leur émancipation du pouvoir politique, les effets à long terme pourraient être chèrement payés pour quelques semaines de hausse des actions.

Pour autant, le débat n’est pas tranché entre réel ralentissement économique et changement du rôle de la FED :

  • si cette dernière a effectivement correctement anticipé un ralentissement plus marqué, cela se traduira dans les publications de résultats des entreprises du 1er trimestre. Les investisseurs réévalueront le prix des actions au regard de ces chiffres. S’ils sont décevants,la valorisation de certains secteurs sera difficilement justifiable.
  • si la croissance est toujours là et que les entreprises anticipent une bonne année 2019, le marché peut-il encore monter et retrouver ses records historiques ? Dans ce cas, la FED aura du mal à expliquer son discours prudent. Et si l’inflation augmente dans un contexte toujours porteur (les salaires continuent à augmenter), que va faire la FED ? Se contredire et monter les taux, en ruinant sa crédibilité ? Ou tenir sa parole et voir les taux longs monter face aux risques inflationnistes. Ce qui ne manquerait pas d’impacter l’économie réelle ! A suivre dans les prochaines semaines.

La seule avancée économique de ce 1er trimestre est le rapprochement sino-américain sur le commerce : les discussions semblent être positives, même s’il faut rester prudent avec le président Trump.

En revanche il est certain qu’après s’être attaqué à ses voisins canadiens et mexicains, puis à la Chine, le prochain ennemi sur la liste de Trump sera l’UE, qui affiche un fort excédent commercial avec les USA (particulièrement l’Allemagne). Au regard de la faiblesse politique de l’Europe (Brexit, populisme italien, gouvernement minoritaire en Espagne, faiblesse politique de Mme Merkel en Allemagne, gilets jaunes en France, risques de montée des eurosceptiques lors des prochaines élections européennes…), il est difficile d’imaginer comment l’UE pourrait raisonnablement être en position de force pour négocier.

Une fois de plus, il est à craindre que l’Europe soit la perdante du bras de fer à venir avec les Américains : l’Allemagne, et particulièrement son secteur automobile, sera la 1ere concernée.

Face à ces risques, nous pouvons assister à une nouvelle sous-performance des actions européennes, comme les actions asiatiques ont sous-performé en 2018 face aux attaques du président Trump.

A l’inverse, une fois de plus, les États-Unis semblent avoir beaucoup de cartes en main : une croissance toujours robuste, une position de force pour renégocier les accords commerciaux, une banque centrale pro-business avec des munitions si besoin (baisses de taux possibles contrairement à l’Europe) et entreprises toujours très profitables.

Principale faiblesse américaine potentielle, nous semble-t-il : la campagne présidentielle, avec certains candidats à l’investiture démocrate affichant des projets très à gauche. La précédente campagne avait vu les candidats taper sur le secteur pharmaceutique, qui avait souffert en bourse. Cette année, le secteur de la technologie (Google, Amazon, Facebook) pourrait servir de cible.