L’art mature

mars 2019 | PERSPECTIVES

Selon le rapport Artprice, les ventes aux enchères de fine art ont atteint $15,48Mrd en 2018. Le chiffre d’affaires mondial a augmenté de 4% (3eme exercice consécutif de hausse).

Les USA (+18%) et le Royaume-Uni (+12%) portent la croissance en Occident. Les USA redeviennent la 1ere place mondiale, avec $5,8Mrd, (38% du CA mondial). La Chine se place juste derrière, avec $4,5Mrd, La France pèse quant à elle 4,5% avec $694M, soit une baisse de 10%. Christie’s reste n°1 des maisons de ventes, avec $5Mrd, devant Sotheby’s’($3,9Mrd).

« Acheter la bonne œuvre, de la bonne période, avec une belle histoire, du bon artiste, au bon moment ». Cette formule, rendue célèbre par Artprice, est peut-être simpliste mais terriblement parlante. Elle explique, à elle seule, le taux de 36% d’invendus en 2018. N’oublions pas que ce taux, référence depuis 120 ans, permet de vérifier si le marché est en mode spéculatif (taux d’invendus inférieur à 20%) ou en chute libre (supérieur à 60%). 36 étant, selon la sociologue du marché de l’art Raymonde Moulin, le « juste » chiffre…

En 2018, les valeurs sûres, doublées d’une belle provenance, ont donc eu la cote. Il n’est que de voir le succès de la collection Rockefeller dispersée en mai chez Christie’s : $833M !

Les $115M payés par David Nahmad, marchand new-yorkais, pour La Fillette à la corbeille fleurie, de Picasso, présenté dans l’exposition Picasso. Bleu et rose du musée d’Orsay, illustre à la perfection le phénomène.

David Hockney est devenu l’artiste vivant le plus cher du monde avec Portrait of an Artist. Chez Christie’s, en 9 minutes, les enchères du double portrait à la piscine ont grimpé à $90,3M, devançant le précédent record détenu depuis 2013 par Jeff Koons.

Lentement mais sûrement, les femmes émergent sur le marché… mais la palme, pour une artiste vivante, reste encore modeste, en valeur relative. Elle revient à Jenny Saville, dont un grand nu a été adjugé €10,5M en octobre chez Sotheby’s. L’artiste britannique s’est toutefois fait souffler la vedette par Banksy, qui, dans la même vente, a semé l’émoi médiatique en détruisant son œuvre à distance !

Entre logique d’investissement, spéculation, collections passionnées, demande insatiable de grandes signatures, le nombre de transactions affiche une santé insolente : avec 538 000 œuvres supplémentaires vendues en 2018, le marché signe un record absolu depuis 1945, malgré le ralentissement de l’économie mondiale.

Les leviers d’une telle croissance sont la facilité d’accès aux informations, la dématérialisation des ventes, la financiarisation du marché, la hausse du nombre des « consommateurs » d’art (de 500 000 à l’après-guerre à 120M en 2018 !), leur rajeunissement, l’extension du marché à toute la Grande Asie, la zone Pacifique, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud, mais aussi l’essor d’une « industrie muséale » (700 nouveaux musées/an) devenue une réalité économique mondiale du XXIeme siècle. Il s’est construit plus de musées entre 2000 et 2014 que durant tous les XIXeme et XXeme siècles réunis.

Le marché de l’art est désormais mature. Il n’est plus l’apanage des seuls experts et amateurs éclairés. Il offre une structure permettant l’achat au plus grand nombre, mais aussi l’investissement. Il a d’ailleurs généré des rendements de plus de 8% par an pour les œuvres de plus de $200 000. Des rendements qui ne sont pas réservés aux artistes stars : les œuvres de plus de $20000 ont généré des rendements annuels de l’ordre de 5%. Les marchés financiers ou immobiliers n’ont qu’à bien se tenir !

Prudence cependant. Au-delà d’un sous-jacent qui demeure exceptionnel à bien des égards, si le vent soufflait à plein dans les voiles début 2018, plusieurs spécialistes voient une année plus calme se profiler. Un indicateur « avancé » : la première session des ventes d’art impressionniste, moderne et surréaliste de Londres a déçu le mois dernier en raison, notamment, d’estimation beaucoup trop élevées…