Art : partition inachevée

juillet 2023 | PERSPECTIVES

Pas de deux

En 2022, le marché de l’art interprétait un pas de deux, entre croissance et tradition : croissance de 3% des ventes à $67,8 Mds – ce qui peut sembler modeste mais demeure remarquable après une décennie de hausse ininterrompue –, résultat d’une chorégraphie solidement dessinée entre marchands d’art et maisons de vente. Tradition par un segment haut de gamme, aux œuvres majestueuses et médiatiques, meneur de ventes spectaculaires, qui avaient permis à Christie’s, Sotheby’s et Phillips d’enregistrer un chiffre d’affaires cumulé de $17,7 Mds, dans une symphonie d’enchères dont les accords résonneront longtemps !

Une fois de plus, la scène américaine a affirmé sa domination, représentant 45% de la valeur des ventes mondiales. Les enchères de New York en ont été le sommet, dans un mélange audacieux de styles et de genres.

Le Royaume-Uni, confirmant sa résilience, a capturé à nouveau la lumière, et repris la deuxième place avec 18% des ventes.

La Chine, 17% du marché global, est demeuré un acteur clé, en constante évolution. Mélange de tradition et de modernité, les collectionneurs sont de plus en plus attirés par les pièces contemporaines tout en chérissant les œuvres classiques.

En France enfin, le marché a dansé au rythme d’une tradition riche et d’une innovation sans cesse renouvelée. Les ventes ont atteint près de $5 Mds. Des chefs-d’œuvre tels que « Corbeille de fraises sauvages » de Chardin ont été les stars d’une scène dynamique.

Mais une toile d’une autre nature se dessine en 2023, alors que le marché de l’art émerge de la frénésie des dernières années. Cette scène, sur laquelle se joue une chorégraphie complexe, est faite de chiffres, d’émotions, de cultures et de passions. Dans ce ballet, des peintures et des sculptures anciennes, des créations modernes et contemporaines virevoltent sous les projecteurs des enchères.

Ouverture majestueuse, mais mesurée

Début 2023, le marché était rempli d’anticipations enthousiastes, les enquêtes confirmaient l’optimisme des marchands d’art et collectionneurs. Cependant, ce premier semestre, assourdi par le tumulte des batteries de guerre et d’inflation, suggère que le monde de l’art marque le pas.

Christie’s et Sotheby’s, les deux icônes qui dirigent ce ballet, ont certes ouvert l’année avec force, générant, lors des ventes à New York, plus de $1,7 Mds en quelques jours.

Chez Christie’s, les « Chefs-d’œuvre de la Collection S.I. Newhouse », en particulier les « Flamants » du Douanier Rousseau, ont été les étoiles de ces ventes, lors desquelles 96% de lots ont été vendus !

Sotheby’s a donné une réplique aussi marquante lors des enchères avec « Insel im Attersee » de Klimt et « L’Empire des lumières » de Magritte.

Mais malgré ces ouvertures majestueuses, la tonalité générale a changé. L’effervescence qui présidait aux enchères semble ralentir le rythme, d’un presto endiablé vers un adagio, reflet d’une prudence accrue des collectionneurs et d’achats plus réfléchis. Après les records à couper le souffle de ces dernières années, le marché semble s’assagir dans un tempo plus raisonnable, mais non sans une certaine nostalgie des cadences plus audacieuses du passé.

Maturité ou prudence ? Collectionneurs et investisseurs sont probablement plus sensibles aux humeurs complexes de l’économie et de la politique, mais ne se détournent pas pour autant d’un marché qui aimante les passions et la quête de reconnaissance. Peut-on pour autant conclure que la finesse et la subtilité ont pris le pas sur le flamboiement parfois clinquant de certaines ventes ? Rien n’est moins sûr !

Car le secteur continue de construire ses récits.

Il se tourne vers de nouvelles scènes, comme Artex, une bourse d’art basée au Liechtenstein, offrant de nouveaux instruments susceptibles de s’ajouter à l’orchestre. 

Il voit émerger des projets spectaculaires, comme l’annonce, en marge d’Art Basel, par la galerie Perrotin, présente sur trois continents, de négociations exclusives engagées avec le fonds d’investissement Colony IM, qui souhaite en acquérir 60%. Une alliance qui démontre l’évolution du secteur et les besoins en capital de galeries qui se mondialisent.

Il voit apparaitre de nouveaux concepts, tels l’art banking, les art shares ou les notes financières, qui laissent penser que la finance pourrait demain prétendre jouer les premiers violons !

Décidément, la symphonie du marché de l’art est loin d’être achevée. De nombreux mouvements restent à écrire, qui devraient garder la dynamique de l’œuvre, sans pour autant pouvoir prédire le final !