L’art, ainsi que les marchés de l’art, n’ont pas échappé aux profonds changements qu’a provoqué la crise sanitaire : fermeture des foires, numérisation des marchés et des œuvres, nouveaux acteurs et nouvelles dynamiques. Reste à savoir ce qu’il en restera une fois la crise passée.
Côté offre
Sur le marché primaire, la tendance est à une consolidation au profit des grandes galeries ainsi qu’à la diversification. Ces dernières élargissent en effet leur offre en proposant du conseil, voire l’organisation de ventes aux enchères. Les acteurs capables de tirer parti de l’évolution technologique pour développer leurs activités à un faible coût marginal et disposant de capitaux suffisants pour obtenir des contrats plus importants seront clairement avantagés.
Sur le marché secondaire, les trois principales maisons de ventes (Christie’s, Sotheby’s et Phillips) offrent dorénavant une vaste palette d’options (ventes directes en présentiel, ventes virtuelles hybrides, ventes en ligne et nouveaux modèles numériques), mais chacune poursuit une stratégie différenciée. Ceci illustre la nouvelle dynamique, d’un secteur qui surfait historiquement sur des modèles classiques et qui semble démontrer une grande agilité.
Christie’s, fidèle à son modèle de service personnalisé, cherche à attirer les grandes collections et successions. Elle continue également à donner le ton sur le marché : en mars dernier, le collage virtuel de l’artiste numérique Beeple a été adjugé à près de 70 millions de dollars au terme d’une vente en ligne. Et est ainsi devenu l’œuvre de crypto-art la plus chère au monde !
Pour sa part, Sotheby’s investit massivement dans le numérique et l’automatisation. Bien qu’elle maintienne un ancrage fort sur les ventes emblématiques d’œuvres classiques, elle se diversifie vers le luxe, les NFTs (1) et les services financiers.
Enfin, Phillips mène une stratégie agressive d’acquisition de talents et a récemment lancé un groupe interne de conseil en art. La société investit également dans l’immobilier comme en témoigne l’ouverture de son espace de style « white cube » sur Park Avenue, conçu pour exposer les collections exceptionnelles.
Côté demande
La confiance étant revenue en 2021, la vente d’œuvres majeures s’est accrue. Les collectionneurs les plus fortunés ont dépensé 10% de plus que l’année précédente. En revanche, le profil des acheteurs évolue beaucoup. Ainsi les millennials ont acheté en moyenne trois fois plus que les générations précédentes (génération X et baby-boomers).
Les collectionneurs traditionnels continuent de privilégier les œuvres figuratives d’artistes émergents, focalisés sur les questions d’identité, alors que les nouveaux entrants s’intéressent également aux objets de collection et aux NFTs. Résultat, l’offre est en passe de rattraper une demande qui paraît être en constante expansion.
Art digital
Depuis la vente du collage de Beeple, les NFTs s’intègrent de plus en plus dans le paysage. Cette évolution, qui n’en est pourtant qu’à ses débuts, soulève déjà de nombreux débats. Les NFTs sont-ils susceptibles de cannibaliser le marché des beaux-arts ? Les acteurs établis vont-ils continuer à en proposer et à accepter les crypto devises ? Gagneront-ils en valeur au fil du temps ?
Pour l’heure, les collectionneurs traditionnels n’ont pas investi massivement ce segment qui, comme déjà mentionné, est largement dominé par les « enfants du numérique », investisseurs historiques dans les cryptomonnaies. Mais tout comme leurs prédécesseurs, leurs motivations semblent peu évoluer. Ils voient les NFTs comme un symbole de statut, un outil de diversification de patrimoine ou encore l’expression de leur propre contre-culture qui privilégie la détention d’actifs numériques au détriment des actifs physiques. Il est donc probable que ce marché demeure volatil et que l’engouement pour ce type d’actifs fluctue. Même s’il est probable que la technologie et l’acceptation généralisée des cryptomonnaies auront un effet durable sur le monde de l’art.
Tendance 2022
Selon le dernier rapport publié par Bank of America (2), le marché de l’art devrait atteindre de nouveaux records en 2022. Il sera, entre autres, porté par l’enthousiasme des collectionneurs et le développement de nouveaux segments de marché, comme les NFTs, les produits de luxe et les objets de collection.
Sauf nouvelle crise majeure, diverses grandes tendances devraient être à l’œuvre et accroître les volumes.
La première est le rattrapage d’une demande dopée par l’effet richesse résultant de la hausse des marchés financiers. La seconde concerne la numérisation du marché qui, du fait de la pandémie, a progressé extrêmement rapidement en 2021, tant au sein des maisons de ventes que dans l’organisation des grands événements comme les foires ou chez les galeristes.
Le virtuel gagne sur tous les fronts, et il semble être là pour durer. A court terme, cette révolution numérique devrait surtout profiter aux grands acteurs qui bénéficieront d’une réduction de leurs coûts. Cependant, la numérisation ayant tendance à comprimer les marges, les collectionneurs devraient également en profiter. En définitive, la numérisation pourrait rendre le marché de l’art plus accessible et élargir considérablement la base des collectionneurs. Sans oublier l’arrivée du Metavers, qui pourrait également accélérer le processus d’intégration de l’art dans le monde virtuel.
Enfin, une troisième tendance tient à l’arrivée de cette nouvelle génération de collectionneurs, moins attachés aux canons traditionnels de l’histoire de l’art, mais tout aussi agressifs que leurs prédécesseurs dans leurs acquisitions. Ces nouveaux intervenants se répartissent en quatre groupes : les jeunes entrepreneurs, les professionnels des fonds spéculatifs et des fonds de capital-risque, les adeptes du numérique ainsi qu’une population issue de la mode, du sport et du divertissement. Pour eux, l’art représente à la fois un placement et une manifestation concrète de leur éthique, voir même le symbole d’une contre-culture.
En somme, porté par ces mégatendances, le marché de l’art pourrait entrer dans un nouveau cycle de croissance, soutenu par un élargissement de l’offre et une expansion de la demande. Ce qui ne doit pas empêcher l’exigence et la sélectivité !
(1) Non Fongible Token (jeton non fungible) : chaque jeton correspond à une licence d’utilisation ; l’acquéreur a le droit de visionner l’œuvre en privé ou en public et il peut l’exploiter, c’est-à-dire faire payer ceux qui souhaitent la voir, sous certaines conditions précisées par la licence.
(2) « Art Market Update: Fall 2021 », Bank of America, Private Bank