Au-delà de l’humeur des banquiers centraux, il nous semble intéressant de prêter l’oreille à certaines voix dissonantes. Notamment quand elles évoquent les changements fondamentaux de l’économie et les points d’inflexion à partir desquels pourraient émerger les gagnants de demain. Sur de nombreux fronts, « business as usual » semble devenir un mantra vide de sens.
Ces fondamentaux qui changent radicalement
« La guerre, par d’autres moyens ? La géoéconomie au XXIème siècle ». Dans sa dernière revue, le Geneva Graduate Institute fait le constat qu’après l’éclosion du paradigme libéral – croissance, paix et commerce – aux XIX ème et XX ème siècles, le XXIème semble amorcer une nouvelle ère de nationalisme économique et de course « néocoloniale » aux ressources naturelles.
Dans cet environnement, l’avenir du système économique international dépendra largement de la façon dont la Chine va se positionner, car elle représente aujourd’hui 29% des investissements mondiaux et participe à plus de 25% du commerce … Et de constater : « Étant donné le niveau avancé d’intégration et d’interdépendance de l’économie mondiale d’aujourd’hui, la défaire aurait un prix très élevé. La fragmentation ou la ségrégation en blocs impliquerait des coûts de production et d’échange plus élevés pour tous les acteurs concernés. Certains d’entre eux, comme les pays européens et l’ASEAM, orientés vers l’exportation et le commerce, souffriraient plus que d’autres. Le chaos pur et simple, ou ce que certains ont appelé la « balkanisation » de l’économie mondiale, serait encore pire ».
Serait-ce l’émergence de systèmes multiples, coexistant dans une sorte de variabilité géométrique ? L’imprévisibilité est une chose que les économistes et les investisseurs financiers n’aiment pas, conclut l’un des chercheurs.
Dans ce contexte d’incertitudes et de retour de l’inflation, dont beaucoup de gérants n’ont aucune expérience, les stratégies d’allocation d’actifs traditionnelles doivent être revisitées. Car si 2010-2022 a vu l’avènement de la gestion passive, les 5 à 10 prochaines années pourraient faire la part belle aux gérants actifs.
Car demain sera très différent d’hier. Les taux d’intérêt nuls et le syndrome « TINA » sont de l’histoire ancienne. On évoque maintenant « TARA » (There Are Real Alternatives). La surperformance de la croissance ne devrait plus être le seul marqueur de la création de valeur. Et l’analyse des cash-flows va regagner en importance. Or les meilleurs performeurs en la matière sont plutôt dans la vieille économie (énergie, matériaux, industrie), la santé et la consommation non cyclique …
Des gagnants potentiels
Actions européennes : le vivier des opportunités s’est beaucoup élargi en 2022. La bonne nouvelle est que non seulement la valorisation des marchés européens est attractive, mais la proportion des valeurs chères a fortement diminué. Un quart des entreprises est valorisé à moins de 8 fois les bénéfices. Il faut remonter à 2008 pour trouver une telle proportion.
Matières premières : en voie de livrer un millésime exceptionnel (+35% en 2022), les matières premières résisteront-elles encore longtemps au risque de récession ? Cela paraît possible dans la mesure où « les tensions climatiques, géopolitiques, les investissements dans les énergies renouvelables et dans la relocalisation de la production, semblent enfanter des tendances structurelles et séculaires haussières pour les matières premières » affirme un analyste de DNCA. Les matières premières peuvent ainsi trouver leur place dans les allocations de long terme, à des fins de protection contre l’inflation, mais aussi de diversification.
Pays exportateurs de matières premières : ces pays ont profité des sanctions contre la Russie. C’est notamment le cas du Brésil (soja, fer, pétrole et sucre), dont la bourse et la devise sont en hausse depuis le début de l’année. Tout comme le Moyen-Orient, où Arabie Saoudite et Émirats arabes unis connaissent une forte croissance. Mais un revers géopolitique n’est jamais à exclure …
Chine et Inde, des géants à reconsidérer : ces mastodontes économiques et démographiques, qui, ensemble, représentent plus du tiers de la population mondiale, sont encore largement sous-représentés dans les allocations d’actifs.
A la question, également éthique et politique, de savoir si la Chine est « investissable », les perspectives économiques à long terme peuvent être une réponse pour certains. Mais c’est peut-être l’argument de ce gérant qui peut donner à réfléchir. Il avait investi en 2012 dans Alibaba, alors non cotée, et devenue depuis le géant que l’on connait. A la question de savoir s’il ne sous-estimait pas le risque politique, il répondait : « nous n’investissons pas en Chine, nous investissons dans un nombre limité d’entreprises chinoises, notamment celles dont la croissance est structurelle ». On peut cependant interroger leur capacité à dorénavant lever des capitaux auprès des investisseurs étrangers. Sélectivité et long terme sont donc, ici encore, la clé.
L’Inde, pour sa part, devrait devenir la 3ème économie mondiale dès 2027 et sa capitalisation boursière passer de $3,4 à $11 trillions d’ici 2032. Durant la décennie à venir, un cinquième de la croissance mondiale devrait provenir de ce pays, qui pourrait se révéler -enfin (?)- une opportunité dans un monde en mal de croissance.
Révision dans le private equity : après la chute des marchés boursiers, trois quarts des entreprises entrées en bourse (IPO) durant le boom 2019-2021 valent moins qu’au moment de leur introduction. Cela se traduit par des transactions à des prix attractifs, mais le mid market a encore connu de belles cessions. Risque donc de révision des valorisations en 2023, mais des opportunités, sans nul doute, pour les millésimes à venir. L’argent n’est plus gratuit, alors il faudra sélectionner les gérants capables de créer de l’alpha par l’opérationnel plutôt que le financier.
Brexit, toujours : les actions britanniques ont un niveau de valorisation parmi les plus attrayants des pays développés, mais restent boudées par les investisseurs. N’est-ce pas oublier que 70% des bénéfices des entreprises du FTSE100 sont générés à l’étranger et que l’indice est biaisé en faveur de la vieille économie et des matières premières ? On pourrait donc presque affirmer, pour justifier un retour sur les actions UK, que « your Brexit is not my problem » (Syz).
Winter is also for Crypto : malgré ce nouvel hiver des cryptos, les fondamentaux du secteur (niveau d’adoption, développement de l’écosystème, mise en place de l’infrastructure de trading et de dépôt) ont continué à s’améliorer … Jusqu’à ce que la chute de FTX vienne plomber l’ambiance, entraînant dans son sillage de nombreux acteurs de l’écosystème et de la finance décentralisée. C’est peut-être un peu vite « jeter le bébé avec l’eau du bain »…