(Source Florian Boulte, Tellusmatters – Lyon)
À l’heure où les critères d’investissement durables (ESG, RSI, conformes aux ODD) sont de plus en plus mis en avant, il convient de s’interroger sur la notion de durabilité, notamment dans une optique d’investissement.
En effet, si certains en doutent encore, la réalité est que la température moyenne de l’atmosphère se réchauffe. Ce réchauffement n’est pas inédit, ce qui l’est c’est sa rapidité et, de ce fait, la quasi-impossibilité de s’y adapter de manière indolore au-delà d’un certain seuil, déjà atteint.
Le réchauffement est dû à l’émission de gaz à effet de serre, ceux qui ont permis à la vie de se développer sur terre. En quantité raisonnable, ils nous permettent de bénéficier du climat globalement tempéré que la terre a connu au cours des douze derniers milliers d’années, qui ont permis à l’homme de se sédentariser.
Depuis la révolution industrielle, du fait de la découverte et l’utilisation croissante des énergies fossiles, par un nombre croissant d’individus, la concentration dans l’atmosphère des principaux gaz à effet de serre, dont le dioxyde de carbone, ont augmenté d’environ 80% par rapport à la moyenne des 400 000 dernières années, en seulement… 250 ans.
La rapidité de cette évolution est simple : une énergie bien plus carbonée qu’auparavant (moulin à eau et à vent, biomasse, travail humain et animal) avec 2/3 d’énergie fossiles dans le mix énergétique mondial, une consommation énergétique par personne multipliée par 10, à minima, mais aussi et surtout une population multipliée par près de 8 depuis le début de la révolution industrielle.
Aujourd’hui nous nous trouvons à un moment crucial, et ce pour deux raisons :
• Nous entrons dans une phase de contraction énergétique, essentiellement au niveau du pétrole conventionnel, dont le pic d’extraction a été atteint en 2008 mais aussi des « shale oil » (pétroles de schiste), qui sont en train de l’atteindre. Or, le pétrole est le sang de notre économie mondialisé puisqu’il représente 98% de l’énergie utilisée pour les transports. Moins de pétrole impliquera donc moins d’échanges,
• Il est indispensable que nous divisions par 4 nos émissions de dioxyde de carbone d’ici 2050 si nous ne voulons pas dépasser de plus de 2°C la température moyenne préindustrielle. Cela implique de réduire volontairement notre consommation d’énergies fossiles.
La décarbonation de notre économie semble donc inéluctable !
En quoi cela va-t-il avoir un impact sur notre façon d’investir ? Tout simplement en générant des risques et des opportunités nouvelles, pour lesquelles nos réflexes d’investisseurs ne sont pas préparés car ils ne prennent pas en compte le capital naturel
La faille initiale provient en partie de notre « science » économique, qui a décidé que les ressources naturelles étaient à volonté et n’avaient pas de prix hormis le coût d’extraction et la rente du propriétaire du terrain. Il n’en reste pas moins que depuis, nous n’avons pas modifié, ou seulement à la marge, le fait que les ressources naturelles, à défaut de prix, ont une valeur. Ainsi, la consommation du stock n’ayant pas été comptée, nous avons eu l’illusion de nous enrichir, alors que nous avons juste consommé, bien au-delà du raisonnable, un stock de ressources non renouvelables à notre échelle de temps.
Dans les années à venir, certains actifs pourraient perdre l’essentiel de leur valeur du fait de la rapidité du changement nécessaire devant l’urgence climatique, mais aussi de la contraction énergétique. C’est ce que l’on appelle déjà des « stranded assets », des actifs échoués. D’autres secteurs, proche de la neutralité carbone, mais aussi de la base de la pyramide de Maslow, devraient se développer pour remplacer les secteurs trop carbonés. Ainsi, alors que le secteur aérien ne devrait pas connaitre la croissance qu’on lui prédit aujourd’hui, le secteur ferroviaire pourrait connaitre un regain d’activité…
Ce sont ainsi de formidables opportunités d’investir dans le sens d’une économie durable. Une économie globalement plus petite, mais qui ne devra pas son existence à la consommation des stocks de ressources naturelles au-delà de leur régénération, à notre échelle de temps.Dans le monde fini qui est le nôtre, une croissance infinie n’est physiquement pas possible, il convient d’en tenir compte, en tant qu’investisseur, entrepreneur et tout simplement citoyen. Un modèle plus sobre, plus résilient et respectueux des limites est à inventer, et les investisseurs sont ceux qui peuvent orienter les ressources financières nécessaires aux bons endroits.