La chute de FTX n’a pas simplement entamé la confiance dans les plateformes de cryptomonnaies, mais elle a également apporté, par le naufrage de la fondation et des projets philanthropiques de Sam Bankman-Fried, un nouvel éclairage sur une moralité chiffrable, un altruisme fait d’équations froides où le calcul coût-bénéfice sur quelques indicateurs efface l’humain du geste moral : l’altruisme efficace.
Un mouvement qui a gagné en popularité ces dernières années parmi les philanthropes et certains Family Offices (FO). Son objectif, tout à fait louable sur le papier, est de maximiser l’impact des dons. Autrement dit, permettre d’apporter une contribution positive, concrète, qui peut être vue, étudiée, mesurée, donnant ainsi une sensation de réel au geste.
Comment ? En utilisant des méthodes rigoureuses, axées sur les données, pour identifier les causes des problèmes et les organisations les plus efficaces pour les résoudre. Une façon de repenser le rapport des individus à la charité et de proposer un modèle de bienfaisance optimal sur le plan coût-bénéfice. En théorie…
Car cette approche peut se résumer en une focalisation excessive sur les résultats quantitatifs, au détriment des aspects qualitatifs de l’aide. En d’autres termes, réduire la philanthropie à une simple question de performance et ignorer les nuances et les complexités des problèmes sociaux. Alors que le bon sens voudrait que l’on ne perde pas de vue l’importance des relations humaines et des contextes locaux dans l’engagement philanthropique.
Prenons l’exemple de l’éducation, où MJ&Cie est actif.
Selon l’altruisme efficace, les mesures quantitatives telles que les taux d’alphabétisation et les résultats aux tests peuvent être utiles pour évaluer l’efficacité d’un programme. Toutefois, elles ne tiennent pas compte des facteurs tels que l’engagement des élèves, la qualité de l’enseignement ou l’épanouissement personnel. Il faudrait donc chercher à adopter une approche plus holistique pour évaluer et soutenir les projets plutôt que de simples mesures.
Des mesures d’ailleurs souvent imparfaites, et limitées, pour saisir la complexité de problèmes difficilement quantifiables ; des mesures définies par des technocrates souvent isolés dans une tour d’ivoire. D’aucuns parleraient parfois d’insensibilité aux problèmes structurels et à la complexité des enjeux sociaux.
Dans une approche traditionnelle, afin de pallier ces limites, il est souvent pertinent de chercher à impliquer une variété d’acteurs et de perspectives. Par exemple, en s’associant à des organisations locales et à des experts du terrain. Cela, afin de mieux comprendre les contextes culturels et sociaux en place. En impliquant activement les communautés bénéficiaires et en écoutant leurs besoins et leurs défis, les FO peuvent contribuer à renforcer la pertinence et l’impact de leurs initiatives philanthropiques.
L’altruisme efficace peut encourager une mentalité de “la fin justifie les moyens”, où les conséquences éthiques des actions sont ignorées au profit de l’efficacité. En convertissant l’argent en vie humaine, le dilemme du tramway, où une personne se trouve obligée de sauver un groupe de personnes au prix du sacrifice d’un autre groupe, n’en serait plus un, puisqu’il ne serait plus qu’un exercice arithmétique. Il s’agit donc de rester prudent et maintenir une approche éthique dans tous les aspects d’un projet philanthropique.
Bien que séduisant par son approche ultra rationnelle, l’altruisme efficace n’est donc certainement pas une panacée. Les FO doivent s’appuyer sur différentes perspectives et méthodes pour améliorer leur impact, notamment par les enseignements de la philanthropie traditionnelle et de l’investissement à impact social.
Riches de leur liberté d’action, capables d’intégrer certains outils de l’altruisme efficace pour améliorer l’impact des dons, dans une approche cependant plus nuancée et inclusive de la philanthropie, les FO peuvent ainsi devenir des modèles méthodologiques et jouer un rôle clé dans l’évolution de la philanthropie.
A défaut, la philanthropie, à un certain niveau, peut questionner : soumise à des contraintes limitées, elle génère un coût important pour la collectivité, compte tenu des avantages fiscaux qu’elle procure. Et offre à son promoteur un pouvoir parfois démesuré !