Nouvelle normalité ou simple effet de mode ? Le marché de l’art, toujours dynamique dans ses composantes traditionnelles, poursuit sa mutation à marches forcées, poussé par une effervescence innovante.
Enchères dynamiques
Après une année 2021 record, la première grande saison 2022 new yorkaise a permis aux trois grandes maisons de proposer plus de $2,8 milliards d’œuvres à la vente ! Globalement, de janvier à fin mai, les ventes ont atteint $5,7 milliards.
Le taux de vente s’est établi à 73,4%, inférieur à 2021, mais supérieur aux années pré-covid. Ce qui pourrait s’expliquer par une plus grande sélectivité des maisons de vente, devenues plus prudentes en matière d’œuvre proposées.
Le prix moyen des œuvres a également augmenté de 26% par rapport à 2021, à $48’670, une dynamique probablement emmenée par les ventes supérieures à 10 millions de dollars. En effet, cette tranche du marché a bondi de près de 50% en valeur, portée par des ventes de successions exceptionnelles : Thomas et Doris Amman (dont Shot Sage Blue Marylin de Warhol faisait partie), Anne Basse ou encore Macklowe.
A l’autre bout du spectre, les œuvres à moins de $10 000 ont également connu une belle progression de +43%. L’engouement des « petits collectionneurs » ainsi que le développement des ventes en ligne, qui avaient pris leur envol pendant la pandémie, se voient ainsi confirmés.
Nouveaux acheteurs
L’univers des crypto actifs a fait émerger de nouvelles figures qui prennent pied dans ce monde, historiquement plus conventionnel. Ainsi, en novembre 2021 à Singapour, Justin Sun, fondateur de l’entreprise spécialisée dans la blockchain TRON, remportait la vente aux enchères de la sculpture de Giacometti, Le Nez, pour un montant de plus de $78 millions. L’entrepreneur en a ensuite fait don à la Fondation APENFT, réputée pour transformer les œuvres d’art célèbres en NFT.
Plus inattendu, les organisations autonomes décentralisées (DAO), communautés du web basées sur la blockchain et capables de rassembler toutes sortes de collectionneurs, se sont fait connaître lorsque l’une d’entre elles, Constitution DAO, a tenté d’acquérir une version rare de la Constitution des Etats-Unis. Le collectif était parvenu à réunir, en une semaine, plus de $40 millions en Ethereum. Mais cela n’a pas suffi pour remporter ce seul exemplaire encore en mains privées, finalement adjugé pour $43 millions !
Nouveaux acteurs
Alternatives au présentiel durant la pandémie, les plateformes digitales deviennent incontournables, notamment parce qu’elles favorisent la transparence (disponibilité et prix des œuvres). Fréquentées d’abord par les collectionneurs les plus jeunes, elles attirent dorénavant toutes les tranches d’âge, même si, selon une étude récente, trois quarts des personnes fortunées continuent à préférer galeries et marchands pour accéder à l’œuvre physique avant d’acheter.
Origine et légitimation
Le marché de l’art n’échappe pas non plus au besoin de sélectivité et qualité propre aux périodes d’incertitude. La provenance et le « pedigree » d’une œuvre prend toujours plus d’importance, surtout s’il a été propriété d’un collectionneur ou d’un musée réputé.
Alimentant le phénomène, les collaborations entre artistes et maisons de luxe se multiplient. Certes les échanges entre ces deux mondes n’ont rien de nouveau ; que ce soit Murakami avec Vuitton, ou encore les écharpes McQueen – Damien Hirst. Mais il semblerait qu’il y ait une accélération, notamment auprès de jeunes artistes. Par exemple, l’artiste ghanéen Amaoka Boafo qui a collaboré avec Dior pour la collection printemps/été 2021. Après le succès de la collection, il a vu sa cote flamber : Hands up (2018) s’est vendue en décembre pour $3 millions : soit +966% de l’estimation !
Tout nouveau, tout beau
Pourtant, l’engouement pour les artistes émergents ne se dément pas. Exemple emblématique, Serge Attukwei Clottey, autre artiste ghanéen, dont la toile « Fashion icons » s’est vendue à plus de £340’000, huit fois l’estimation haute. Ce phénomène semble refléter l’arrivée de collectionneurs friands d’œuvres contemporaines des 20 dernières années. Originaires d’Europe ou d’Asie, ils apportent une nouvelle dynamique au marché.
Toutefois le segment des artistes ultra contemporains (nés après 1975), bien qu’il connaisse une forte progression, reste encore en retrait par rapport aux segments plus traditionnels. En effet, en 2021, le segment le plus dynamique a concerné les artistes nés entre 1945 et 1974. Et les ventes d’Art contemporain ont totalisé 2,9 milliards de dollars, une croissance de 49% par rapport à 2019, pour 111’240 lots vendus. Des résultats « historiques » tant en termes de ventes que de nombre de transactions.
Ces tendances semblent se poursuivre en 2022, même si ce sont surtout les impressionnistes et modernes qui ont affiché la meilleure dynamique sur la période ($2,4 milliards). Tandis que le marché des maîtres anciens (1250 – 1820) reste en retrait.
Art digital
Les NFTs, qui ont ébranlé le monde de l’art en battant des records en 2021, ont connu une chute vertigineuse en 2022, avec une diminution du volume des ventes de 92%, passant de 225’000 ventes quotidiennes en septembre 2021, à 18’000 en juin 2022. De même, une forte diminution d’activité des détenteurs des wallets (portefeuilles numériques qui permettent de stocker, vendre et acheter des NFT et des cryptomonnaies) a été constatée. Même le Wall Street Journal s’est fendu d’un article sur l’éclatement de la bulle des NFT, actifs hautement spéculatifs !
Un avis que ne partage pas Artprice (2), pour qui la « révolution NFT » est systémique tant elle implique de nouvelles façons de créer des œuvres, de rémunérer les artistes, de collectionner et d’échanger sur des plateformes où l’offre et la demande se rencontrent d’une façon totalement dématérialisée.
Le Pape sera-t-il l’arbitre suprême de ce débat ? En tout cas, le Vatican a annoncé qu’il se lançait dans les NFT et le métaverse. Humanity 2.0, l’une des fondations chapeautées par le Saint-Siège a passé un accord stratégique avec Sensorium, entreprise spécialisée dans la construction de métaverse, dans le but de créer une galerie virtuelle où les œuvres du Vatican seront exposées sous forme de NFT.
Certains analystes, tel que Nonfungible, parlent plutôt de stabilisation après un afflux de liquidité qui a irrigué tous les marchés, art compris. Et de fait, bien que le marché ait baissé, près de 8 milliards de dollars ont été échangés au premier trimestre !
Volatil certes, mais marché certainement !
(1) « Five trends the Art market will be watching in 2022 », Bryan Boucher, mars 2022, Sotheby’s
(2) « Le marché de l’art en 2021 », Artprice
(3) « State of the Art Market: an analysis of global auctions sales in the first five months of 2022», Artprice & Morgan Stanley
(4) « The Art Market 2022 », Art Basel & UBS Report