Si l’économie tremble, l’art frémit : véritable indicateur de nos mutations profondes, il s’est ouvert,
internationalisé et numérisé, au point de refléter autant nos modes de consommation que nos visions du
futur.
Après une année 2022 exceptionnelle, 2023 a marqué un léger repli : 65 milliards de dollars de volume
global, contre 68 l’année précédente. Ce retour sur terre tient surtout à la raréfaction des très grands lots
: moins de pièces au-dessus de 20 millions, donc moins de records. Pour autant, le marché gagne en
profondeur et en régularité : le volume global de transactions progresse d’environ 4 %, stimulé par une
nouvelle génération de collectionneurs qui achètent plus souvent, plus vite – et différemment.
La géographie du marché confirme cette redistribution. Les États-Unis pèsent 38 % des ventes mondiales,
grâce notamment à des transactions spectaculaires comme un Brice Marden à 30,9 millions de dollars ou
un Basquiat dépassant 67 millions de dollars. La Chine (27 %) continue de monter, portée par une base
d’acheteurs locaux très active. Le Royaume-Uni (15 %) reste un pilier, tandis que la France consolide sa
place à 7 %, stimulée par Paris+ et l’intérêt pour l’impressionnisme et le surréalisme. Ces chiffres montrent
que la redistribution mondiale ne se limite pas aux volumes, mais transforme aussi la dynamique des
grandes capitales artistiques.
Côté segments, l’art contemporain domine, représentant plus d’un tiers des ventes mondiales. Les artistes
nés après 1980 ne sont plus un pari mais un moteur de l’offre : l’ascension de figures comme Anna Weyant,
Amoako Boafo ou Jadé Fadojutimi, dont les enchères dépassent régulièrement le million, témoigne de
l’attractivité de la jeune création. Ces nouvelles tendances illustrent comment le marché évolue de
manière organique, porté par la curiosité et l’audace des collectionneurs.
La relation collectionneur-artiste a elle aussi changé. L’achat direct auprès des artistes, via Instagram ou
les plateformes spécialisées, connaît une croissance fulgurante : pour de nombreux acheteurs de moins
de 45 ans, c’est désormais la première porte d’entrée. Cette pratique dynamise le marché intermédiaire,
Page 15 sur 18
historiquement soutenu par les galeries émergentes, et crée un lien plus direct entre création et
acquisition.
L’art numérique, longtemps perçu comme un cousin excentrique qu’on invitait par politesse, s’installe
désormais à table… et choisit même le menu. Malgré la volatilité du marché des NFT, certaines œuvres
génératives se stabilisent, et les institutions renforcent leurs collections. Le numérique n’a pas remplacé
l’objet physique : il élargit simplement le champ des possibles et réinvente la manière de collectionner.
Autre mutation structurelle : la montée en puissance des femmes artistes. Leur part dans les ventes a
doublé en dix ans. Les enchères autour de Yayoi Kusama, Cecily Brown ou Julie Mehretu illustrent cette
dynamique durable, qui ne relève plus du simple effet de mode mais d’un changement profond de
perception et de représentation.
Au-delà des chiffres et des transactions, ce qui se joue est plus fondamental. Les collectionneurs
d’aujourd’hui ne cherchent plus seulement des œuvres : ils recherchent une cohérence narrative, une
vision, parfois un engagement. L’art est autant un actif qu’un miroir de la société, et certains thèmes –
écologie, identité, mémoire, technologie – s’imposent durablement comme axes de réflexion. Ces
évolutions structurantes, à la croisée de l’économique et du culturel, offrent une perspective stratégique
: dans un marché global, rapide et parfois volatil, ceux qui savent relier tendances économiques, culturelles
et sociétales – et les projeter dans la durée – apportent un véritable accompagnement à 360°, capable
d’allier vision et sens.